Carnet de route

Cime de la Valette de Prals
Le 01/03/2020 par Collon Gabriel
G1 : distance = 17 kilomètres; dénivelé = 1150 mètres
G2 : distance = 14 kilomètres ; dénivelé = 900 mètres
Un raquettiste, ça a de la suite dans les idées. Mais lorsqu'il est, circonstance aggravante, du signe du Taureau, alors là... Combien de fois Denis a-t-il eu l'idée d'emmener le groupe dans "ce" vallon, du côté de la Madone de Fenestre ? Un souvenir obsessionnel qui remonte aux temps héroïques de la section raquette, l'époque de Dominique, peut-être celle de Toussaint, voire au siècle dernier... Un temps où tout le monde connaissait le prénom de tout le monde, et ou chaque sortie vous avait un parfum d'aventure, d'inédit, de découverte enthousiasmante... Nostalgie, quand tu nous tiens...
Denis, donc, ayant ressorti ses cartes et ses souvenirs, propose de nous emmener sur les crêtes de Prals, secondé par Vincent, Jacques et Tony. Un secteur que nous pratiquons régulièrement mais, même en terrain archi-connu, une rando n'est jamais deux fois la même : pas de copier-coller en montagne, les conditions météo se chargent en général de modifier la donne.
La route est officiellement fermée, mais les véhicules peuvent néanmoins monter jusqu'à la prise d'eau, vers 1500 mètres, nous dispensant ainsi d'une marche toujours un peu fastidieuse sur bitume, alors que nos semelles appellent de leurs voeux la neige, voire la douce mousse des sous-bois. Et d'ailleurs : raquettes ou pas raquettes ? Le staff se concerte et vote léger pour aujourd'hui : les crampons devraient suffire. Inutile de faire appel au 49-3, tout le monde est d'accord.
Et c'est parti pour la mise en jambes jusqu'à l'entrée dans le Parc où nous quittons enfin la neige de la route pour la neige des bois. Le ciel se charge : il pleuvine, ou il neigeouille. Ou les deux à la fois. Rien de bien franc, en tout cas. Vincent prend la tête du G1 et se met à la trace avec l'ardeur et la compétence qu'on lui connaît. Denis lui a passé les consignes pour rejoindre "son" vallon, qui répond au petit nom de Moussillon, charmant, non ?
Bravo, Denis, un bien bel itinéraire, ton Moussillon. D'abord en forêt, puis dans des alpages d'altitude d'où la vue est à couper le souffle : tout le cirque de la Madone est sous nos yeux, entièrement plaqué de neige fraîche qui lui donne un aspect vraiment très "montagne". Vincent sort son appareil-photo et immortalise un "ici et maintenant" royal. Les nuages jouent avec le paysage, engloutissent des pans entiers de nos montagnes, puis nous les rendent, illuminées de soleil. Un regroupement se fait sur la tête de Cinant, après une dernière grimpette en traversée dans une neige dure, conçue exprès pour les crampons...
L'attrait que peut exercer une crête, c'est quelque chose... Comment s'arrêter, alors que la montagne continue ? Et qu'au bout, il y a forcément quelque chose d'incroyable : balise, croix, cairn, point de vue, fanion, grand vide ? Cap pour tous sur la tête de la Lave et ses "herbes de neige", petits étendards de givre éphémères, façonnés par le vent et figés par le froid.
Le G2 termine là sa montée, et quelle montée, et s'attaque à présent à la descente vers le Plan de Prals et le pique-nique. Denis, décidément, est aujourd'hui en mode "jolis petits vallons", à la montée comme à la descente, pour le plus grand plaisir de son groupe. Il guide son petit monde dans un creux de montagne, bien à l'abri des mélèzes où, à défaut de faire beau, il fait bon vivre.
Le G1, quant à lui, poursuit vers la cime du Pertus et celle de la Vallette de Prals qui attend, dans son infinie patience de montagne, du haut de ses 2496 mètres, parfois ensoleillée, parfois retirée dans ses nuages. Impression de flotter au-dessus du monde, dans un dégradé aérien, irréel, blanc sur blanc. Mais le froid n'a que faire de la poésie du moment : vite ! Janine dégaine ses chaufferettes en se soufflant sur les doigts !
Pour un bon moment, le nuage nous avale... Au passage, nous apercevons les indices qui confirment que nous sommes sur la bonne voie : la croix sommitale, de métal et de glace ; la pente qui s'inverse brutalement : la redescente ; un gros cairn : enfin la baisse. Et, juste sous la remontée en direction de Paranova, une déchirure dans le brouillard : c'est par là ! Une forte pente en neige bien dure... Comme dit Vincent, on va descendre "au mieux"... Tenez bon, crampons bien-aimés ! Accrochez-vous, bâtons chéris ! La pause pique-nique est à ce prix !
Après ce temps fort (et fort pentu) la traversée du Plan de Prals pour rejoindre le G2 paraît un jeu d'enfant. Mais, tout en enfonçant dans la neige accumulée là, peut-être pensons-nous avec une pointe de tendre nostalgie à nos raquettes, restées dans les coffres des voitures... Et nous reprenons le cours de notre descente par le vallon de Prals, tout festonné de strates blanches par les neigées successives. Puis, à la balise 362, nous quittons le torrent et ses fééries pour obliquer, à gauche toute, en direction de notre itinéraire du matin.
Pour nous remettre de toutes ces émotions, Tony nous rabat vers Les Tilleuls, malgré une rumeur fort inquiétante : "Il paraît que c'est fermé"... Que non ! Nous faisons circuler gâteaux moelleux et croustillants cookies, béatement. Les chocolats et les bières arrivent. Tiens, c'est étonnant ! Pas de petit rigolo pour commander une Corona, aujourd'hui... Sinon, direct en quarantaine, ce qui serait dommage quand on sait qu'un beau week-end s'annonce à Estenc, avec neige fraîche et tout et tout..
Les contacts rapprochés étant pour un temps interdits par l'ARS et l'OMS réunies, nous nous quittons sur force coucous, jolies courbettes et gentils bisous posés sur la main et envoyés par la voie des airs... Un bisou virtuel et collectif à Denis pour son vallon du Moussillon : ce n'était donc pas une légende montagnarde ! Bravo et merci.